Le conte amérindien du colibri invite chacun à faire sa part. Et si le moment était venu de changer de braquet ? Et si l’entreprise décidait de faire sa part ? Et si la transition écologique était une chance pour l’entreprise ?
Les acteurs de l’entreprise sont aussi des citoyens et donc concernés comme les autres par les enjeux du réchauffement climatique et de la crise écologique… Comme beaucoup, ils vivent et subissent ces peurs et ces tensions…
Un sursaut est possible, un défi se propose : en tentant l’expérience d’une démarche plus en cohérence avec les enjeux de notre époque, nous pouvons construire une nouvelle vision de la réussite, plus harmonieuse, avec plus de respect pour la nature et pour l’homme, plus de coopération et une gestion plus responsable des ressources, pour faire notre part dans la construction d’un nouveau monde et peut-être ainsi le sauver !
Le mouvement Colibris tire son nom d’une légende amérindienne, racontée par Pierre Rabhi, son fondateur :
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! «
Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Le mouvement de Transition est né en Grande-Bretagne en 2006 dans la petite ville de Totnes. L’enseignant en permaculture Rob Hopkins avait créé le modèle de Transition avec ses étudiants dans la ville de Kinsale en Irlande un an auparavant. Il y a aujourd’hui plus de 2000 initiatives de Transition dans le monde, en 50 pays, dont 150 en France, réunies dans le réseau International de la Transition.
Il s’agit d’inciter les citoyens d’un territoire (bourg, quartier d’une ville, village…) à prendre conscience, d’une part, des profondes conséquences que vont avoir sur nos vies la convergence du pic du pétrole et du changement du climat et, d’autre part, de la nécessité de s’y préparer concrètement. Il s’agit de mettre en place des solutions fondées sur une vision positive de l’avenir et qui visent à :
réduire fortement, individuellement et collectivement, la consommation d’énergie d’origine fossile et nos émissions de CO2
renforcer la résilience de nos territoires, leur capacité à absorber les chocs à venir, par une relocalisation de l’économie (alimentation, ENR…)
renforcer les liens, les solidarités et la coopération entre l’ensemble des acteurs du territoire
acquérir les compétences qui deviendront nécessaires au renforcement de notre autonomie
Serge Papin nous a fait l’amitié de nous partager quelques réflexions. Elles sont extraites d’une lettre qu’il a adressée à un groupe de dirigeants, au printemps 2019.
Malgré leur prise de conscience, les dirigeants se sentent souvent démunis et désemparés sur les actions à mener. Comment maintenir leur compétitivité, tout en transformant leur entreprise pour lui donner une dimension sociétale ? Comment conjuguer un projet économique et un projet écologique ? Comment accompagner les transitions et développer un sentiment d’appartenance positif chez les collaborateurs et les clients ? C’est le cœur même du projet d’entreprise, voire de sa gouvernance, qui est remis en cause : ce qui sera n’est plus simplement l’amélioration de ce qui fût, mais un autre avenir à réinventer.
L’urgence climatique entraîne une vague de révolte citoyenne
Nul ne peut continuer à l’ignorer aujourd’hui : nous sommes face à des dérèglements climatiques considérables, qui entraînent des défis sociaux, sociétaux, économiques, énergétiques, migratoires, auxquels nous ne sommes pas préparés. Il s’agit d’une véritable transition anthropologique (comme le disait Henri Trubert), puisqu’elle met en jeu l’humanité. Pour le climatologue Jean Jouzel avec qui j’ai débattu récemment, on ne pourra éviter de dépasser les deux degrés, ce qui met Bordeaux et le Havre les pieds dans l’eau. Et ce n’est pas le plus pessimiste… En France, toutes les côtes sont menacées, de l’ordre d’un mètre d’élévation du niveau des mers sur la côte atlantique et la Méditerranée à l’horizon 2050, auxquelles s’ajoutent les tempêtes et les marées. Je ne parle même pas du reste du globe, où des États entiers comme les Maldives ou le Bangladesh seront submergés, ce qui entraînera des flux migratoires importants. À cause du réchauffement climatique, l’Indonésie envisage de déplacer la capitale, Jakarta !
Face à cette situation anxiogène, on observe un mouvement de fond : une prise de conscience globale émerge, les citoyens s’engagent, et particulièrement les jeunes. Les mobilisations des étudiants dans la lutte pour le climat, qui animent les rues depuis plusieurs mois, ne font que commencer, et se conjuguent aux mouvements des gilets jaunes. Ils demandent des comptes aux adultes et aux générations précédentes. Pour ces jeunes, l’enjeu – le vrai, le seul qui vaille – n’est pas le développement économique, ni la croissance du PIB, mais tout simplement la survie de l’humanité. 30 000 étudiants ont signé le Manifeste pour un réveil écologique, et affirment ne pas vouloir s’engager pour une entreprise climaticide.
Pour certain·es salarié·es, revoir ses habitudes à la maison ne suffit pas : il leur faut aussi sensibiliser au développement durable sur leur lieu de travail.
Lorraine* est manager dans le secteur de la logistique. Son métier n’a rien à voir avec l’écologie et pourtant, elle est devenue la référente zéro papier pour son entreprise.
Gaëtan Brisepierre, à l’origine du terme de «transféreur» et auteur avec Anne Desrues d’une étude sur le sujet, «ceux qui transfèrent leurs pratiques écologiques au bureau n’ont pas nécessairement un métier lié à l’écologie, mais vivent une rupture à un moment dans leur vie qui modifie leur comportement».
«Ça peut être un changement de poste, un déménagement de bureau, un changement fort dans la vie personnelle qui amène à chercher du sens dans ses pratiques», précise-t-il.
Dissonance cognitive
Après son divorce et la lecture du livre Zéro déchet, Lorraine a revu toutes ses habitudes. Elle a commencé à acheter en vrac, investi dans des composteurs et réduit sa consommation d’énergie. «Je me suis rendue compte que finalement, on n’avait pas besoin d’être en T-shirt à la maison en hiver», plaisante-t-elle.
Au fur et à mesure de sa transformation, elle s’est sentie de plus en plus en décalage par rapport aux pratiques de consommation de son entreprise.
«J’ai finalement décidé de faire comme à la maison, raconte-t-elle, et j’ai apporté ma serviette à main pour les toilettes, ma gourde et ma serviette en tissu pour la cantine. Puis progressivement, j’ai essayé de faire changer les mentalités sur la consommation de papier.»
Un nombre croissant de salarié·es vivraient comme Lorraine cette dissonance cognitive. «À un moment, la façon dont on vit au travail et celle dont on vit chez soi seront trop différentes, et cela va créer un problème de sens dans son travail», analyse Gaëtan Brisepierre.
A côté de son travail, Lorraine s’est investie dans l’associatif et forme des volontaires au zéro déchet. Selon le sociologue, elle fait partie du segment de la population qui porte le changement: «Elle a un profil de militant, c’est celui que l’on rencontre le plus souvent chez les transféreurs en entreprise.»
«C’est souvent une personne très investie qui va venir en vélo, va essayer de fabriquer ses produits d’entretien elle-même, avoir un potager ou s’engager dans une association», décrit-il.